4 Kythorn 1418
Ce combat fut sans doute le plus difficile que j’ai eu à mener au cours de ma courte existence d’aventurier. Le plus douloureux en termes de conséquences également… Il est des événements dans une vie dont on ne se remet jamais tout à fait et je pense que cette bataille en fera partie.
Nous nous avancés vers l’obélisque, prudents mais confiants. Contrairement à notre première expédition, nous étions cette fois bien préparés à ce qui nous attendait et notre groupe était plus important et beaucoup plus expérimenté. Néanmoins, le nécromancien avait plus d’un tour dans son sac et cela devait faire plusieurs jours qu’il avait repéré notre progression en sa direction. Il avait donc préparé une redoutable embuscade pour tous nous faire tomber… et il fut bien près de réussir.
Alors que nous marchions avec circonspection, nous avons aperçu au loin une vingtaine de morts-vivants qui se dirigeraient vers nous. A peine avions-nous eu le temps de nous mettre en position de combat que surgirent de partout des zombies, des noyés, des squelettes et des golems d’os. La plupart d’entre eux s’étaient enterrés dans l’épaisse couche de neige et y avaient patienté des heures, peut-être même des jours entiers, car rien ne permettait de déceler que la neige avait été foulée en ces endroits. Quoi qu’il en soit, nous étions encerclés et en grande infériorité numérique : les morts-vivants étaient des centaines… C’était là une véritable armée.
Tant bien que mal, nous avons tenté de nous organiser pour résister au mieux aux assauts de nos ennemis. Les combattants formèrent un cercle au milieu duquel les lanceurs de sortilèges se placèrent. Mes sorts firent beaucoup de dégâts dans les rangs ennemis et il en allait de même pour ceux de Darley. Les combattants repoussèrent vaillamment par cinq fois les assaillants mais le sixième assaut nous affaiblit considérablement. Inshula, la très expérimentée rôdeuse qui avait accompagné mes parents dans les jungles du Chult, fut la première à tomber : son cadavre fut immédiatement mis en pièce par une dizaine de zombies. C’était là un spectacle terrifiant que nous, nous qui avons survécu, n’oublierons jamais. Presque au même moment, Erlandir le paladin subit le même sort, sans que nous puissions faire quoi que ce soit pour lui. Laureline, mon amie d’enfance, était quant à elle frappée par cinq flèches : elle s’écroula mais parvint à ramper jusqu’au centre du cercle avant de perdre connaissance. La moniale Gautami et le prêtre Bindur n’eurent pas cette chance : percés d’une dizaine de projectiles, ils rendirent l’âme.
Tant bien que mal, au prix de lourdes pertes, nous avions repoussé ce sixième assaut ennemi. Mais les forces du nécromancien semblaient inépuisables. Des dizaines de morts-vivants lancèrent un septième assaut sur nous. Débordés de toutes parts, nous étions bien conscients qu’il était fort probable que nous ne parvenions pas à le repousser. Ellinawen, la disciple d’Umoja, la jolie Selena et Darrek Estamad s’effondrèrent à leur tour, frappés de plusieurs flèches tandis que notre guide Grokor, submergé par le nombre, était tué au corps-à-corps. Ce fut ensuite à mon tour : nos défenses ayant cédé, je me suis retrouvé en pleine mêlée. Après avoir abattu une demi-douzaine de zombies, je fus attaqué de toutes parts. Gravement blessé, je sombrai dans l’inconscience.
La suite de l’histoire, je ne peux vous la raconter que sur base du témoignage de ma chère Calliope. Me voyant presque mort, mon père, Kirth, se jeta corps et âme dans la mêlée pour empêcher les morts-vivants de me dépecer. Ses attaques furent si vives, si rapides, qu’il mit en déroute presque à lui seul la septième vague d’assaillants. Cela ne se fit pas sans conséquences : dans leur retraite, les archers squelettes ciblèrent tous mon père qui finit par être touché par une dizaine de projectiles. Il était mort. Mort en héros. Mort pour moi. Mort pour Calliope et l’enfant qu’elle porte. Mort pour Xandros, le père de sa petite-fille. Mort pour le Valbise également.
Mes compagnons se préparèrent alors à se défendre pour la dernière fois. Ils n’étaient plus que sept en état de combattre : Szenzik, Callipe, Xandros, Thrommel, Darley, Bisildur et ma grand-mère, Elanwen, qui dirigeait tant bien mal les survivants. Tous savaient qu’ils ne pourraient résister à une huitième offensive…
C’est alors que se produisit un véritable miracle. Surgie de nulle part, une magicienne rouge arriva avec une dizaine de ses disciples sur le champ de bataille. Les magiciens se mirent à invoquer des sortilèges d’une puissance inouïe, notamment des pluies de météores qui balayèrent les morts-vivants, sans nous blesser. Bientôt, le nécromancien fut acculé. Mes compagnons le chargèrent tandis que les magiciens rouges s’affairaient à lui ôter ses protections magiques. Finalement, au terme d’un long affrontement, ce fut grand-mère qui lui asséna le coup fatal. Dès qu’il succomba, les quelques mort-vivants qui avaient échappés aux pluies de météores s’écroulèrent, inanimés, morts pour de bon.
Tout de suite, nos compagnons se dirigèrent vers nous, ceux qui gisaient sur le champ de bataille. Bisildur et Xandros firent de leur mieux pour soigner les blessés et ramener les morts à la vie à l’aide de puissants rituels. Pour la plupart des corps, rien n’y fit. Ce fut le cas pour mon père notamment… Lui qui a donné sa vie pour nous. Je pleurerai sa perte toute ma vie. Quelques blessés furent toutefois sauvés : ce fut mon cas mais également celui d’Ellinawen, de Darrek et de Laureline. Nous sommes en vie mais, gravement blessés, il est probable que nous devions arrêter pour de bon la vie d’aventuriers. Darrek a perdu l’usage de sa ma gauche, la pauvre Laureline est désormais borgne, Ellinawen et moi-même boiterons désormais probablement. Le sort nous a durement touchés mais l’important est d’être en vie. Je veux connaître mon enfant et je pense qu’il se moquera bien d’avoir un père boiteux, pourvu qu’il soit en vie !
L’heure fut ensuite aux explications. La meneuse des magiciens rouges se présenta en tant que Safiya. Elle nous expliqua qu’elle avait accompagné Emilia Ders, le héros qui avait sauvé Padhiver vers 1392, dans un périple qui l’avait menée jusqu’au plan de Kelemvor avant de regagner le Thay, sans Emilia qui avait choisi de rester sur ce plan afin de faire tarir une malédiction qui menaçait la Rashéménie. Elle avait ensuite fondé sa propre académie en Thay où elle enseignait dans un climat de respect et de curiosité intellectuelle, bien loin de ce qui se faisait habituellement chez les maléfiques et retors magiciens rouges. Cela faisait quelques années de cela qu’elle avait entendu parler de ce nécromancien qui s’était établi dans le Valbise. En vérité, elle avait même réussi à l’identifier : il se faisait appeler Erdogan le noir et avait jadis porté le nom d’Erdogan le rouge. Il faisait partie de l’expédition qui, il y un siècle et demi de cela, a sauvé le Valbise d’un prêtre déchu du nom de Poquelin. Ellendiel, que grand-mère Elanwen, a rencontré à la Main-Tranchée il y un peu plus de cent ans, faisait également partie de ce groupe. A la chute de Poquelin, Ellendiel avait choisi de rester dans le nord pendant que le reste de son groupe décidait d’explorer les plans. Franchissant un portail qui devait les ramener chez eux, ils avaient atterri près de cet obélisque lors d’un hiver particulièrement froid. Egarés, frigorifiés et affamés, ils moururent les uns après les autres jusqu’à ce qu’il n’en reste que deux : Erdogan le rouge et la rôdeuse de Kara-Tur Natsuko. Erdogan qui était un nécromancien, plutôt que de périr comme ses compagnons, choisit de se donner la mort tout en accomplissant un rituel qui lui permit de devenir une liche pratiquement immortelle : il prit dès lors le nom d’Erdogan le noir. Horrifiée, Natsuko s’enfuit et, par miracle, parvint à atteindre Bremen, plus morte que vive. Elle prévint les autorités locales de la menace qui pesait sur la région mais les patrouilles qu’elles envoyèrent ne trouvèrent nulle trace de la liche. A Bremen, on estimait que la rôdeuse avait eu une hallucination due à son état de santé critique et bientôt nul ne prêta attention à son récit. Dépitée, Natsuko regagna le Kara-Tur non où elle vécut d’autres aventures. Soixante ans plus tard, à l’agonie, elle confia à ses descendants que cette menace devait toujours peser sur le Valbise et exigea qu’ils couchent par écrit le récit que je retranscris à mon tour.
Il y a quelques années de cela, par hasard, Safiya entra en possession de ce document qui l’intrigua et commença à enquêter sur le sujet. C’est lorsqu’elle eut vent de l’échec de la disparition de notre groupe qu’elle se dit que quelque chose de maléfique se tramait. Depuis sa rencontre avec Emilia Ders, elle avait décidé de faire autant que possible le bien autour d’elle, surtout quand dans milliers de vies étaient menacées. Elle rappela alors à elle ses plus puissants disciples, créa un portail et atteignit directement Bremen d’où elle se mit en marche vers l’obélisque. Et c’est ainsi qu’elle nous sauva d’une mort certaine.
Plein de gratitudes, nous l’avons abondamment remerciée avant de préparer un campement de fortune. Plusieurs d’entre nous, moi y compris, étaient incapables de reprendre immédiatement la route. Nous nous sommes encore reposés aujourd’hui et je pense que nous serons prêts à partir demain.
Nos compagnons valides ont enterrés tous ceux qui nous ont quittés au pied de l’obélisque. J’ai récupéré les effets personnels de papa pour les ramener à maman.
Safiya, quant à elle, a longuement étudié l’obélisque en compagnie de ses disciples. Elle a pu déterminer qu’il s’agissait d’un édifice nélanthère qui avait des vertus magiques. Cet obélisque avait probablement contribué à accroître considérablement la puissance du nécromancien qui s’était établi ici pour s’y constituer, lentement et implacablement, une immense armée. Quelles étaient ses intentions ? Nous ne le saurons jamais mais il est probable qu’il comptait un jour ou l’autre partir à la conquête du Valbise…